Depuis plusieurs mois, grâce à une connivence sans pareille dans l’histoire de notre démocratie, le système médiatique et sondagier qui fabrique l’opinion nous le martèle : le représentant de la gauche à la Présidentielle de 2012 doit être DSK. Et comme le suivisme fonctionne en loi d’airain dans ce système, peu de « bons esprits » osent s’écarter de cette idéologie dominante. Du coup, ce qui passe pour une vérité révélée produit ses victimes, qui sont curieusement les seuls candidats socialistes clairement déclarés à ce jour, au rang desquels Ségolène Royal.
Pour elle, les dés seraient jetés, alors pourquoi perdre son temps à en parler si peu que ce soit ? De la télévision à la radio et à la presse, Ségolène Royal a été jetée aux oubliettes.
Fabriquer l’opinion c’est, pour ce système délétère, organiser dans l’agenda social, par le moyen des sondages, la perpétuelle fuite en avant au profit du seul événement qui vaille, la Présidentielle de 2012. A quoi bon alors s’attarder sur la micro-péripétie des Cantonales de 2011 ? Il importe surtout de ne jamais perdre de vue la sanction annoncée de 2012. A présent, sonder n’est plus évaluer l’opinion attachée à un événement réel qui a eu lieu (les Cantonales), c’est prédire donc créer l’avenir, et de la façon la plus attractive qui soit.
Ainsi, au lendemain immédiat du second tour des Cantonales, quand Yves Calvi anime sur France 2 son plateau d’invités politiques appelés à commenter le résultat du vote citoyen, l’important est la seule présence de Brice Teinturier (Ipsos), la « voix de son maître » d’un soir du système sondagier. Un seul sondeur donc, un seul expert es opinion pour faire du Front national le grand perturbateur, le grand Opposant qui vient par la bouche de Marine le Pen prophétiser pour 2012 un « 2002 à l’envers ». On tient alors, à treize mois de l’échéance, la dramatisation d’où peut sortir le rebondissement. Car sonder et interpréter l’opinion, c’est nous imposer une histoire crédible qui nous tienne en haleine de bout en bout, c’est mettre en feuilleton l’avenir politique en veillant à ménager, comme dans tout bon récit imaginaire qui se respecte, une forte mise en tension.
L’idéologie à l’œuvre aujourd’hui dans le système de production de l’opinion se retrouve tout naturellement dans la presse écrite, même la plus sérieuse. Sophie Landrin titre alors au sortir des Cantonales : « Prêts pour la primaire du PS ? Partez ! » (Le Monde). Et nous voici aussitôt dans la perspective de la sanction populaire de 2012 dont la Primaire socialiste représente la péripétie préparatoire. Revoici les héros socialistes que le système privilégie actuellement - DSK, Aubry, Hollande – et l’incontournable sondage qui sert de preuve, où est affirmé l’échec garanti de Ségolène Royal si elle s’avisait imprudemment d’entrer en lice. En quelques maigres allusions, son sort est scellé, elle serait « tapie comme le poisson sous la pierre », nous dit la journaliste. Elle n’aurait cependant renoncé à rien, pourrait même revenir en force, alors que la zizanie des petites piques assassines a repris entre les favoris socialistes des sondages.
Ce que cette dramaturgie factice expulse d’entrée, c’est le véritable sens de la péripétie réelle des Cantonales, dans la perspective de l’événement attendu de la Présidentielle.
Ce sens est d’abord dans l’abstention dramatiquement élevée qui sanctionne tout à la fois le gouvernement sarkozyste en place et le monde politique en général. Or, la seule qui l’ait dit sans ambages est Ségolène Royal, n’en déplaise aux ténors socialistes du parti que leur pseudo-victoire égare.
Ce sens est ensuite dans un triste constat : la quasi-totalité de la classe politique actuelle est inféodée aux sondages. La pratique du Parti socialiste consiste bien à présent à se conformer aux prédictions de ce système de matraquage de l’opinion, tout en le voilant le plus possible. Ainsi Martine Aubry rappelle d’un côté qu’il faut rester modeste dans la victoire, mais joue clairement de ses deux casquettes, celle de patronne du PS et celle de candidate potentielle, pour ménager les chances que lui prêtent les sondages en vue de 2012. Le projet socialiste collectif annoncé pour le 5 avril lui servira donc à viser ses deux finalités. De la même façon, François Hollande exagère le micro-événement de sa victoire annoncée en Corrèze pour en faire la condition de sa déclaration de candidature à la Primaire et ainsi la booster. Double langage et billard à multiples bandes !
Se démarquant des trois favoris socialistes des sondages, Ségolène Royal ne cesse de labourer le terrain social pour aller à la rencontre des Français, affermir ce qu’elle nomme son « travail de sédimentation » et mieux fonder en pertinence son projet. On est du coup assuré de ne pas voir ce projet décalquer purement et simplement celui du travail socialiste interne. On peut parier que ce qui devait n’être initialement qu’une simple « boîte à outils » (Moscovici) va revêtir subrepticement les oripeaux du seul référent autorisé, argument fallacieux pour déconsidérer a priori tout projet différent, donc celui de Ségolène Royal. Un Vincent Peillon a déjà prévenu, la Primaire n’a de sens que si des projets différents sont proposés, et le subterfuge est de laisser croire la concurrence possible alors que l’on brandira sans tarder l’argument de la démocratie et de la légitimité pour le seul projet collectif.
Il faut craindre que le projet préparé à partir des conventions et forums, porté par Aubry-DSK-Hollande et quelques autres comme Valls soit classiquement placé dans la ligne de la pratique gouvernementale de la social-démocratie française depuis 1983 : primauté donnée à l’économie et à la croissance. Il proposera une régulation du capitalisme agrémentée de quelques réformes sociales à valeur symbolique, destinées à frapper d’entrée de jeu les esprits. Le chef d’orchestre en sera Laurent Fabius pour les mesures des premiers mois de gouvernement. Comme Jean-Luc Mélenchon le ressasse, cela ne fera pas croire facilement que « l’homme du FMI » éloignerait le pays d’un capitalisme même tempéré.
En fait, le seul projet vraiment alternatif que le PS devrait proposer ne peut venir que de Ségolène Royal. Car c’est à partir de l’écologie et du social que l’on pourra à l’avenir entreprendre cette « révolution silencieuse » expérimentée avec succès par Ségolène Royal en Région Poitou-Charentes. De plus, c’est par elle seule que le PS apporterait la preuve de sa capacité à défendre les classes populaires et moyennes en attente de participation réelle, de justice sociale et d’éthique car l’ancienne représentante de la gauche de 2007 a gardé un contact permanent avec ces couches populaires très touchées par la crise. De ce double point de vue – nouveauté radicale du projet et exemplarité du comportement politique – Ségolène Royal est le seul recours possible à gauche si l’on veut changer la vie.
Noël Nel