Je n’avais pas prévu de vous reparler si vite d’éducation après vous avoir fait part, il y a une dizaine de jours, des réflexions que m’inspirait le rapport sévère de la Cour des Comptes sur les
difficultés de notre système scolaire à faire réussir tous les élèves, qu’aggravent tant les politiques sarkozystes.
Mais voilà qu’au même moment, à rebours de toutes les observations et recommandations de ce remarquable travail, la droite sarkozyste nous montre comment elle programme méthodiquement
l’affaiblissement du service public de l’éducation nationale.
En effet, des scénarios récemment concoctés par le Ministère à l’intention des rectorats viennent d’être rendus publics sur le site du Café Pédagogique : édifiant ! Dans ces documents internes,
les objectifs sont énoncés sans fard. De la maternelle à la terminale, une seule priorité : supprimer encore et toujours plus de postes. A tous les niveaux. Par tous les moyens. Au mépris de
toute considération d’efficacité scolaire. Sans que jamais l’intérêt des élèves n’entre en
ligne de compte. Avec un mépris souverain pour les personnels et leurs missions.
Les enseignants ? Une simple variable d’ajustement.
Le leitmotiv ? Sabrer l’emploi pour réduire aveuglément les coûts.
13 fiches thématiques balayant le premier et le second degrés donnent crûment toutes les ficelles que les académies ont instruction d’utiliser pour mener à bien un brutal exercice de « cost
killing » appliqué à l’école. Voilà qui en dit long sur le renoncement de ce gouvernement à toute ambition éducative.
Après avoir laissé filer les déficits et multiplié les cadeaux à ceux qui n’en avaient pas besoin, la droite sarkozyste inflige à l’école une cure d’austérité dont on peut hélas prévoir qu’elle
n’assainira pas les finances publiques, n’améliorera pas les performances de notre système scolaire et affaiblira les ressorts de la croissance, au
premier rang desquels l’investissement éducatif.
L’aveu d’un renoncement
Un syllogisme cimente ce catalogue d’injonctions qui, sous prétexte de traquer les « gisements d’efficience », fera en réalité l’école moins efficace et plus injuste : puisque « le surcoût de
moyens au profit de certaines académies ne permet pas d’atteindre une plus grande performance scolaire et d’égaliser les chances », c’est donc… qu’on
peut allègrement tailler à la hache dans les moyens humains et matériels de l’école sans porter atteinte aux conditions de la réussite scolaire ! CQFD…
La vérité, c’est que la mission théoriquement assignée par la Nation à son école et fermement rappelée par les sages de la Cour des Comptes – « favoriser la réussite scolaire de chaque élève,
quelle que soit son origine sociale ou géographique » – est explicitement sacrifiée au dogme du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la
retraite et à l’obsession des réductions d’effectifs, calculette au poing.
Comme le dit fort justement le SNUIPP, syndicat majoritaire chez les professeurs des écoles, quel « aveu de résignation » !
Quelle démission de la responsabilité publique !
Vous connaissez mes positions : jamais je n’ai réduit les difficultés de notre système éducatif à la seule question de ses moyens et jamais je n’ai accepté qu’on en fasse l’alibi commode de bien
des immobilismes. A l’école, un euro dépensé doit être un euro utile, efficace pour les élèves et efficace pour les enseignants. Dans ma conception de l’action politique, le bon emploi de
l’argent public a rang d’obligation et l’évaluation rigoureuse des politiques mises en
œuvre doit permettre de corriger ce qui doi l’être en se gardant des pesanteurs routinières.
Mais « l’optimisation des moyens » n’est pas l’éradication mécanique des coûts. Elle suppose au contraire que l’allocation des moyens humains et matériels soit réfléchie en fonction d’objectifs
scolaires et non seulement budgétaires. Elle suppose leur renforcement là où il y en a le plus besoin. Le gouvernement sarkozyste procède à l’inverse : la logique comptable prime sur l’ambition
éducative.
N’en déplaise au porte-parole de l’UMP qui ne voit aucune raison pour que l’école « s’exonère » des coupes budgétaires drastiques programmées par le gouvernement sarkozyste, la diminution du
nombre d’enseignants et l’augmentation du nombre d’élèves par classe n’accroîtront pas l’efficacité de la dépense publique scolaire mais
l’échec des élèves.
Car ce plan de casse méthodique fragilise notre système scolaire alors même qu’il n’a jamais eu autant besoin d’être renforcé et accompagné pour réussir sa mutation nécessaire.
Optimiser la dépense éducative n’est pas la sabrer aveuglément
Je rappelle quelques résultats qui disent l’urgence d’une autre politique scolaire et le besoin pour notre école d’un projet en phase avec les nouvelles donnes mondiales. Plus de 21% des élèves
sortent du système scolaire avec de sérieuses difficultés de lecture et de maîtrise des compétences de base en français. En maths, 73% des élèves de 3ème ne maîtrisent pas le programme. Un élève
sur 6 quitte le système scolaire sans diplôme ni qualification. Parmi les pays de l’OCDE, les performances scolaires de la France se situent dans une médiocre moyenne (17ème sur 30 pour la
compréhension de l’écrit et des maths, 19ème pour les sciences). Entre la moitié des élèves qui réussit correctement ou très bien et l’autre moitié dont les résultats sont insuffisants (dont 20%
en grande difficulté scolaire), l’écart ne
cesse de se creuser.
Nous sommes aussi l’un des pays développés où l’école reproduit le plus les inégalités sociales et culturelles de départ. Dans les années 50, 21% d’élèves d’origine populaire intégraient le trio
des plus grandes écoles (Polytechnique, Normale Sup, l’ENA), ils sont aujourd’hui trois fois moins nombreux.
L’éducation prioritaire est plus que jamais le parent pauvre du système éducatif : la Cour des Comptes signale, dans son rapport, que 73% des élèves des établissements labellisés «
Ambition-Réussite » échappent aux dispositifs d’accompagnement éducatif censés les épauler. Voilà ce qu’il faudrait prendre à bras le corps sans se payer
de mots.
En France, l’éducation nationale est le premier budget de l’Etat. Pour l’enseignement primaire et secondaire, cela représente 3,9% de notre Produit Intérieur Brut (4,3% en 2000) et nous classe au
11ème rang des
pays de l’OCDE. Certes, il n’y a pas de corrélation stricte entre le montant de la dépense d’enseignement et les performances du système.
Mais force est de constater que la Finlande, en tête de tous les classements internationaux, y consacre 5,7% de son PIB. Quand le Royaume-Uni a décidé de redresser son système d’enseignement
public, il a augmenté son budget de 3,5% du PIB à 4,3% (soit très exactement le chemin inverse de celui emprunté par la France).
Il ne suffit donc pas de dépenser plus pour travailler mieux mais une chose est sûre : optimiser la dépense publique n’est pas la sabrer. Et aider les enseignants dans l’exercice d’un métier qui
a beaucoup changé depuis le temps où seule une petite minorité d’élèves prenait le chemin du lycée, ce n’est certainement pas leur répéter année après année qu’ils seraient inutilement nombreux
et coûteraient trop cher à la collectivité.
Formation initiale et continue des enseignants : un luxe ?
C’est pourtant le message de la droite sarkozyste, assorti de réductions croissantes des effectifs: 8 .700 postes en moins en 2007, 11.200 en 2008, 13.500 en 2009, 16.000 prévus à la rentrée 2010
et encore 16.000 pour la rentrée 2011. Pour faire passer la pilule, un peu de revalorisation salariale mais rien qui enraye la dégradation des conditions d’enseignement. Je ne reviens pas ici sur
la « réforme » de la formation initiale des maîtres, la très critiquée «
mastérisation » qui réduit à la portion congrue la formation pédagogique des nouveaux enseignants titulaires du concours et prévoit leur remplacement pendant ces quelques semaines de stage par
des étudiants encore moins formés.
C’est maintenant à la formation continue des professeurs des écoles que s’attaque le gouvernement en recommandant, pour diminuer le besoin d’enseignants remplaçants, de l’évacuer hors temps
scolaire. Pas très
incitatif au perfectionnement professionnel…
Augmenter la taille des classes : le vrai et le faux
Avec, en moyenne, 25,55 élèves par classe en maternelle, 22,65 élèves en primaire et 24 élèves au collège, la France est l’un des pays de l’OCDE où les classes sont les plus chargées. Mais l’une
des sources majeures d’économie préconisée par le gouvernement est d’augmenter encore la taille des classes car elle diminue arithmétiquement le
nombre d’enseignants nécessaires. Les éléments de calcul fournis aux rectorats envisagent de monter à 30 élèves par classe (32 en maternelles situées hors ZEP).
Dans le primaire, il est recommandé d’utiliser tous les leviers possibles : fermetures de classes et de petites écoles (généralement implantées en milieu rural), relèvement du seuil de création
de nouvelles classes, fusions d’écoles, regroupements pédagogiques inter-communaux et autres « resserrements du réseau scolaire ».
Mentionnant qu’il s’agit d’un « sujet très sensible », le Ministère prodigue quelques conseils tactiques : surtout ne pas annoncer de mesure générale qui risquerait de soulever un tollé mais ne
pas oublier qu’il suffit, pour fermer une classe ou une école, que l’Inspecteur d’académie retire des postes d’enseignants et qu’il peut, pour ce faire, se passer de l’accord de la commune…
Au collège, dont les effectifs ont augmenté de 16.300 élèves à la rentrée 2009 du fait d’une hausse de la natalité, même objectif et mêmes calculs. Aux académies de chiffrer par le menu la seule
chose qui semble compter : les « gains proposés en emplois » du fait de l’augmentation du nombre des élèves par classe.
Même justification répétée pour le premier et le second degrés : « il n’est pas démontré que la taille des classes ait un effet probant sur les réussite des élèves ». Cette affirmation globale
est une contre-vérité. Ce que disent les travaux de recherche français et étrangers est différent.
Je me souviens du rapport de Thomas Piketty sur « l’impact de la taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles françaises » : il avait suivi une cohorte
de 10.000 élèves entrés en CP en 1997 et montrait que l’abaissement à 18 élèves de la taille des classes en CP et CE1 permettait, en ZEP, un gain de performance scolaire de 40% qui avait un effet
positif sur la réussite scolaire ultérieure. Il proposait, pour effectuer cette
opération à coût constant, d’augmenter d’un élève la taille des classes ne relevant pas de l’éducation prioritaire car cela, dans leur cas, ne pénalisait pas leur réussite scolaire.
Ces résultats allaient dans le même sens que ceux de l’étude américaine STAR qui avait suivi une cohorte de 11.000 élèves. Elle montrait que ceux qui avaient effectué leurs quatre premières
années d’étude dans des classes à effectif réduit obtenaient de bien meilleurs résultats que les autres en maths et en maîtrise de la
langue. Ces performances perduraient tout au long de la scolarité après réintégration dans des classes à effectif normal. Elles étaient surtout deux fois plus élevées pour les enfants des milieux
populaires et/ou des minorités ethniques.
Il n’est donc pas juste de dire que la taille des classes est sans effet sur les résultats scolaires : si elle est effectivement neutre pour les enfants de milieux favorisés, elle a en revanche
un fort impact sur ceux issus de familles socialement vulnérables ou culturellement moins bien dotées.
Entre la rigueur budgétaire à tout prix et la réussite scolaire de tous les élèves, la droite sarkozyste a choisi. Mais les classes préparatoires aux grandes écoles n’ont, elles, aucune menace d’économie à redouter…
Ce gouvernement n’en est pas à une contradiction près : il prétend promouvoir l’individualisation des parcours mais la rend, dans le même temps, plus difficile en augmentant la taille des
classes. Il prétend attaquer l’échec scolaire à la racine mais dépouille le primaire et le collège où se joue l’acquisition du « socle fondamental de connaissances et de compétences ». Il prétend
ne s’en prendre qu’aux surcoûts injustifiés mais cible les maillons déjà les plus pénalisés par une allocation aberrante des ressources, comme l’a encore rappelé la Cour des Comptes. Il avait
promis que les suppressions de postes se feraient sans toucher aux enseignants devant classe donc à taux d’encadrement constant mais les pistes privilégiées pour la période 2011-2013 semblent
bien remettre cet engagement en cause.
Cette « rationalisation des moyens » témoigne en réalité d’une grande déraison éducative.
Déscolariser les moins de 3 ans
Autre cible clairement désignée : la scolarisation à deux ans dont on sait pourtant combien elle facilite l’intégration scolaire des enfants des quartiers populaires. On est déjà tombé de 34,8%
d’enfants bénéficiant de ce mode de scolarisation précoce à 15,2% (et seulement 5% en Seine St Denis !). On aurait pu choisir de redresser la barre.
Le gouvernement préfère programmer la déscolarisation des moins de 3 ans, y compris dans les zones d’éducation prioritaire, au motif que « les études disponibles ne démontrent pas que la
scolarisation des
enfants âgés de 2 ans constitue un avantage évident dans toutes les situations par rapport à d’autres modes de garde ». Encore une fois, les études ont bon dos…
Il est exact que, pour les enfants d’enseignants et de cadres, l’incidence de la scolarisation précoce sur les performances scolaires est mineure car ils ont, dans leur famille, bien d’autres
atouts sur lesquels prendre appui pour réussir à l’école. C’est pour les autres, et ils sont nombreux, que cette première familiarisation scolaire est bénéfique. Mais aucun effort n’est prévu
pour eux.
La preuve du mépris dans lequel la droite sarkozyste tient cette école des plus jeunes et l’aveu de sa totale ignorance de ce qui s’y apprend, c’est qu’elle l’assimile à un « mode de garde »
parmi d’autres. Vous vous souvenez des propos de Xavier Darcos, alors Ministre de l’Education nationale, plaisantant lourdement, en 2008, sur l’utilité de « faire passer des concours bac + 5 à
des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à
des enfants ou de leur changer les couches » ? Les enseignants de maternelle avaient été blessés de ce déni de leur métier. La bourde s’était retournée contre son auteur. Ce n’était pas une gaffe
mais l’expression brutale d’une vision tenace qui ressurgit aujourd’hui :
pas besoin de payer des professeurs des écoles pour de vulgaires
tâches de garderie… Aux rectorats de chiffrer ce que ça rapporte en postes supprimés, y compris dans l’éducation prioritaire.
Remplacements : précaires et vacataires low cost
Autre « gisement d’efficience », comme ils disent : les remplaçants.
C’est, pour les parents, un vif sujet de mécontentement. En mars dernier, les parents d’élèves exaspérés de 5 écoles de Pantin, en Seine Saint Denis, ont introduit une cinquantaine de recours
contre le Ministre de l’Education nationale. Ils dénonçaient l’inefficacité du système de remplacement des enseignants absents, ses conséquences négatives sur la scolarité des élèves, et
réclamaient l’égalité du service public sur tout le territoire. Mais, pour le gouvernement,
l’heure est aux remplacements low cost. Et tant pis si la qualité du service en prend un coup.
Place aux vacataires qui coûtent moins cher que les titulaires. Aux étudiants sans formation pédagogique. Aux précaires en tous genres.
Comme le dit élégamment la fiche ministérielle adressée aux rectorats : « les non titulaires représentent une ressource plus flexible dont le rendement est proche de 100% ». Moins qualifiés,
certes, que les brigades d’instituteurs remplaçants mais tellement plus économiques !
Dans le collimateur : les réseaux d’aide aux élèves en difficulté et les psychologues scolaires
Pour les enseignants spécialisés des RASED, ces réseaux d’aide aux élèves en difficulté, c’est carrément le coup de grâce. Cela fait un moment qu’ils sont dans le collimateur. Le précédent
Ministre de l’Education nationale avait annoncé 3.000 suppressions de postes mais avait dû reculer devant la mobilisation. 2.000 postes ont été
supprimés à la rentrée 2009. Il est temps, pour la droite sarkozyste, d’achever le travail, au prétexte que les 2 heures d’aide personnalisée instituées dans le premier degré suffiraient au
traitement de toutes les difficultés scolaires.
Il est temps d’aller plus loin en envisageant la suppression des recrutements de psychologues scolaires et l’augmentation du ratio d’encadrement des conseillers pédagogiques.
Dans le langage technocratique visiblement très en vogue dans les sphères de l’actuel gouvernement, cela s’appelle « sédentarisation des enseignants hors la classe ». Comme si tous ces personnels
spécialisés étaient coupables de nomadisme impénitent, soupçonnés d’exercer des missions à l’utilité douteuse, considérés comme de quasi-déserteurs de ces classes ordinaires où il y aurait
urgence à les rapatrier pour qu’ils y colmatent les trous creusés par les suppressions massives de postes. Pas un mot, dans les documents enjoignant aux académies de
traquer ces « marges d’optimisation », des gains scolaires escomptés et de l’impact de ces mesures sur la prévention ou le traitement de l’échec scolaire. Rien qu’un sec exercice de fausse
rationalité budgétaire.
Dans le primaire, l’anglais sans anglophones ?
Le sort réservé à l’apprentissage des langues étrangères à l’école primaire en offre un exemple caricatural. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de commencer tôt pour relever le niveau des
élèves français qui n’est pas bien fameux. C’est une matière au programme et on nous ressasse que c’est une priorité forte.
Que fait le gouvernement sarkozyste ?
Il demande aux académies de programmer la diminution du nombre d’intervenants extérieurs et d’assistants en langues étrangères. Il invente, en somme, l’apprentissage de l’anglais sans anglophones
! Et cela au prétexte que le cursus des professeurs des écoles les habilite désormais à enseigner une langue vivante, ce qui n’en concerne encore qu’une minorité et, de l’avis même des
enseignants concernés, ne réduit en rien l’utilité scolaire des locuteurs d’origine.
Apprentissage : rationner l’offre de CAP
L’apprentissage fait, lui aussi, les frais de cette irrationalisation des choix budgétaires appliquée à l’école. On chante les louanges de cette filière mais on programme en même temps le
rationnement de l’offre de CAP.
On se félicite de « la rénovation de la voie professionnelle » en taisant tout ce qui reste à faire pour que cette orientation ne procède pas d’une sélection par l’échec mais d’un choix positif
effectué par des élèves qui s’intéressent à un métier où les perspectives d’emploi ne soient pas source de déception. Et tout ce qu’il reste à faire, aussi, pour que la recherche d’un stage ne
butte pas sur des discriminations persistantes. On fait mine de se réjouir que la plupart des académies aient développé leur offre de CAP mais c’est pour ajouter aussitôt que « cette stratégie
initiale doit être questionnée » car ce qui doit l’emporter, ici encore, c’est la recherche obsessionnelle de postes à économiser.
Je ne prêche naturellement pas l’immuabilité des filières d’enseignement professionnel dans un monde qui évolue vite et où émergent de nouveaux métiers cependant que d’autres s’éteignent. Mais
l’évolution des cartes des formations ne doit pas procéder d’une approche petitement comptable. L’intérêt des élèves, les besoins de l’économie et les opportunités, scolaires et professionnelles,
qui en résultent pour les apprentis doivent primer sur les « gains de dotation potentiels » réalisés sur le dos d’élèves majoritairement issus des milieux populaires et encore trop souvent
orientés vers des voies de garage aux perspectives d’emploi des plus incertaines.
Actualiser et développer l’apprentissage, voilà la priorité.
Les Itinéraires de Découverte, budgétairement suspects…
Les Itinéraires de Découvertes, ces 2 heures hebdomadaires qui doivent permettre aux collégiens de réaliser des « travaux croisés » interdisciplinaires et de travailler de façon autonome ou en groupe, n’échappent pas, eux aussi, à l’impératif ministériel de diminution des taux d’encadrement des élèves. Davantage de regroupements, des heures supplémentaires plutôt que des embauches, moins de postes encore et toujours. Ce n’est pas dit clairement car ils font partie des enseignements obligatoires mais ces moments de décloisonnement disciplinaire ne sont pas loin d’être considérés comme scolairement périphériques et budgétairement superflus.
Réforme du lycée : ce que valent les promesses présidentielles
Mais le clou de ce plan d’austérité tous azimuts, c’est l’aveu qu’une promesse pourtant formelle du Président de la République ne sera pas tenue : celle de réformer le lycée à moyens constants.
C’est dit noir sur blanc : toutes les académies sont tenues de rechercher les « gains potentiels » permis par la réforme du lycée. Et cela dès la rentrée
2011.
Mise en réseau des établissements, tronc commun en première et terminales générales qui permet de réunir des classes des différentes séries, convention entre établissements pour les enseignements
d’exploration, groupes de compétences en langues, rationalisation de la carte des langues rares, utilisation de la dotation globalisée… toutes les « possibilités significatives offertes par la
réforme » doivent être utilisées pour dépenser moins. Concrètement, il est
demandé aux rectorats de chiffrer « le gain » résultant de diverses hypothèses de réduction des postes et de la dotation forfaitaire moyenne (à 39 heures, à 40 heures…). Ainsi se trouvent
confirmées, contrairement aux engagements pris par le chef de l’Etat, les craintes exprimées depuis deux ans par les organisations syndicales et concernant le but non avoué de cette réforme.
Ecole à la diète = croissance en berne
Qu’elles sonnent faux les déclarations ronflantes sur l’autorité des maîtres quand le souci qui prévaut avant tout est d’en diminuer le nombre ! Qu’ils sonnent creux ces éloges du métier
d’enseignant quand l’heure est à la précarisation de la profession à coups de vacataires pour pas cher ! Quelle hypocrisie de prétendre lutter contre l’échec
scolaire quand la paupérisation programmée de l’éducation nationale crée, dans le même temps, les conditions hélas propices à sa progression ! Et quelle hypocrisie, aussi, de prétendre lutter
contre les incivilités et les violences scolaires quand, dans le même temps, on charge les classes, on réduit le taux d’encadrement des élèves et on diminue la présence adulte dans les
établissements !
Les documents qui viennent d’être adressés aux académies ont au moins le mérite d’annoncer la couleur. La droite sarkozyste n’a d’autre projet pour l’école que la diète. Son choix est fait :
affaiblir aveuglément le service public de l’éducation nationale plutôt que prendre les moyens d’en corriger réellement les dysfonctionnements.
C’est une orientation lourde de conséquences pour les élèves et tout particulièrement pour le grand nombre de ceux qui peinent à suivre.
C’est exposer l’institution scolaire à de redoutables ressentiments car les destins s’y scellent, en France plus qu’ailleurs. Mais c’est aussi, plus largement, affaiblir le pays en agissant, avec
son école, à contre-sens et à contre-temps.
Car la dépense éducative n’est pas un poste de plus à comprimer comme n’importe quel autre. Et encore moins par gros temps, quand le pays doit mobiliser ses forces pour inventer de nouvelles
formes de croissance, de nouveaux emplois, de nouvelles perspectives pour sa jeunesse, de nouveaux rapports au monde. Plus que jamais l’investissement éducatif devrait être considéré comme un
investissement productif et comme un facteur prioritaire de relance.
Nous avons, bien sûr, de très nombreuses raisons de vouloir notre école plus efficace et plus juste mais je voudrais, pour conclure, mettre cette fois-ci l’accent sur l’enjeu proprement
économique de la question scolaire. La droite sarkozyste, au prétexte de « la crise » et en vertu d’une conception étroitement comptable de la réduction des
déficits, n’en prend pas la mesure. Elle voit l’école comme un coût et non comme le plus sûr des moteurs de croissance. Elle ne voit pas l’urgence d’un plan de relance pour l’école.
Le cercle vertueux de l’école et de la croissance
Tous les économistes qui se sont penchés sur la question des relations entre éducation et croissance ont abouti aux mêmes conclusions, quelles que soient les écoles de pensée, ultra-libérales ou
néo-keynésiennes, auxquelles ils appartiennent : c’est d’abord son système éducatif qui dynamise un pays et lui permet de relever les défis de l’innovation, de la production de richesses et de la
création d’emplois. En période de crise, l’investissement éducatif n’est pas une dépense à juguler mais l’un des moyens les plus efficaces de minorer les risques récessifs.
L’une des études les plus probantes à ce propos a été réalisée par Robert Barro, économiste américain qui s’inscrit pourtant dans le sillage de l’école de Chicago, et Jong-wha Lee : passant en
revue la
scolarisation de 146 pays sur la période allant des années 50 à aujourd’hui, ils montrent le « rendement » très fort d’un bon système éducatif sur la croissance.
Dans un rapport réalisé en 2004 pour le Centre d’Analyse économique, Philippe Aghion et Elie Cohen concluent eux aussi que l’éducation est un facteur essentiel de croissance. Ils évoquent les travaux d’autres chercheurs qui ont analysé la relation entre bagage scolaire en milieu rural et diffusion des innovations dans l’agriculture ; entre élévation du niveau général de formation, vitesse d’adaptation aux changements technologiques et impact de longue durée sur la croissance. Ils rappellent que des politiques scolaires élitistes (priorité aux universités sélectives et à la recherche de pointe, négligence de l’enseignement primaire et secondaire de masse) inhibent la croissance en sacrifiant des opportunités de développement. Ils rappellent aussi que c’est en développant son enseignement primaire et secondaire que la France a, durant ses 30 Glorieuses, rattrapé son retard de productivité sur les Etats-Unis.
Commentant ce rapport, Jean-Hervé Lorenzi cite les travaux de J.Heckman, lauréat américain du Prix Nobel, qui a mis en évidence la « rentabilité pour la collectivité » d’un fort investissement scolaire destiné aux jeunes enfants, en particulier ceux des milieux socialement fragilisés. Il souligne que l’un des principaux handicaps de l’économie française est l’impact négatif sur la croissance des contre-performances actuelles de notre système éducatif. Il conclue à la nécessité d’améliorer solidairement les différents niveaux d’enseignement (primaire, secondaire, supérieur) pour qu’ils concourent ensemble à une élévation globale du niveau scolaire de la population, qui stimule la croissance.
Je pourrais citer quantité d’autres travaux allant dans le même sens. Ceux aussi de Joseph Stiglitz ou d’Amartya Sen. Tous disent en creux pourquoi la politique de la droite sarkozyste handicape le pays en affaiblissant son école.
Il fut un temps, vous vous en souvenez, où Nicolas Sarkozy promettait d’aller chercher un point de croissance avec les dents. Je n’ai pas le souvenir que la méthode ait été probante. Le premier
gisement de croissance du pays, c’est son école. A condition qu’on cesse de se payer de mots et d’incantations sur l’égalité des chances jamais
suivies d’effets. A condition qu’on ne l’abandonne pas aux ségrégations qui la minent. A condition que l’optimisation des moyens ne soit pas l’alibi de leur rationnement mais leur mobilisation
cohérente au service de la réussite de chaque élève. Car ce n’est pas l’éducation nationale qui coûte cher à la France, c’est l’échec
scolaire.
Ségolène Royal